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đŁBrisons la vagueâ
Albert Londres, Travail aÌ la Campagne et Editions CreÌaphis

âContre lâextrĂȘme-droite â
Je vous avoue que jâai commencĂ© Ă prĂ©parer cette newsletter la semaine derniĂšre. Jây mettais mes projets passĂ©s, mes projets en cours, mes projets futurs⊠Heureux de voir sâempiler ces petits cailloux collectĂ©s avec patience.
Et puis il y a eu dimanche et ses élections. Difficile de ne pas se sentir abattu ou inutile.
Dans ce moment, je me souviens de Sam, de son histoire, de sa souffrance, des consĂ©quences sur sa vie du fascisme, du racisme, de lâantisĂ©mitisme, de la violence, et je pense aux ondes de choc de cette pĂ©riode qui aujourdâhui encore nous remuent.
Je pense aussi souvent Ă une bande dessinĂ©e qui raconte lâhistoire dâun journaliste allemand dans les annĂ©es 1930 Ă Berlin. Auteur, journaliste, documentariste, on Ă©crit des choses que lâon sait politiques. Notre mĂ©tier est un engagement. On se mouille dans la sociĂ©tĂ©. On traduit et transmets les mots de celle et ceux subissant lâinjustice. On essaie de faire vivre des imaginaires Ă©mancipateurs. On se trompe aussi des fois. Et puis on voit la vague se former Ă lâhorizon. BientĂŽt, elle bouche tout le paysage. Alors on essaie dâapercevoir les rayons du soleil au travers des embruns tandis que lâon construit nos chĂąteaux de sable que lâon aimerait brises-vagues.
Mais il y a aussi lâespoir, celui de sâunir, celui de faire face et de redonner un espace Ă ceux que lâon nâa pas entendus ou que lâon ne veut pas Ă©couter. En leur accordant toute notre attention, toute notre Ă©motion et toutes nos capacitĂ©s.
Alors on continue nos petites histoires en contribuant Ă Ă©crire la plus grande, en se bagarrant et en luttant dans les mots et lĂ oĂč il faut.
Et bien sĂ»r on va voter le 30 juin et le 7 juillet pour quâaucune voix nâaillent Ă lâextrĂȘme-droite. VĂ©rifiez si vous ĂȘtes inscrits sur les listes Ă©lectorales (et oĂč). Pensez Ă donner une procuration si vous nâĂȘtes pas lĂ oĂč vous ĂȘtes inscrits le jour des Ă©lections. La procĂ©dure en ligne est trĂšs rapide et puis il suffit ensuite dâaller faire vĂ©rifier son identitĂ© (ça va trĂšs vite). Je lâai fait pour les europĂ©ennes.
Contre lâextrĂȘme-droite, chaque voix compte !

đȘ¶Documentaire sonore : Albert Londres, journalisme et Ă©thique de lâengagement đŁ

Photo dâAlbert Londres (1884-1932) autour de 26 ans
Câest dans ces moments intenses que lâon se pose des questions sur son rĂŽle, sa voix, son engagement. Et comme dâhabitude, je me demande quelle est ma responsabilitĂ© en tant que journaliste.
Une partie de la rĂ©ponse, je la trouve dans lâhistoire et lâĆuvre dâAlbert Londres dans laquelle je me suis rĂ©cemment plongĂ© pour France Culture. On connait le prix qui porte son nom et qui est le prix le plus prestigieux du journalisme français. On connait la sentence de ce reporter des annĂ©es 1920 qui exige des journalistes de « porter la plume dans la plaie ». Une phrase brandit comme un totem par toute la profession aujourdâhui sans que lâon sache vraiment ce quâelle veut dire. On connait moins bien la rĂ©alitĂ© du journalisme dâAlbert Londres. Elle contient pourtant de belles pistes pour rĂ©flĂ©chir un nouveau journalisme loin des plateaux chargĂ©s dâĂ©ditorialistes et du marasme mĂ©diatique ambiant. Le programme est simple : dĂ©placements sur le terrain, respect des personnes interviewĂ©es, subjectivitĂ© assumĂ©e, engagement contre lâinjustice et rigueur sur les faits.
Ce nâĂ©tait pas Ă©vident pour moi de parler dâun homme baignĂ© dans son Ă©poque, chargĂ©e dâune reprĂ©sentation coloniale du monde et non exempt de stĂ©rĂ©otypes racistes. Mais Albert Londres, dans son temps, a changĂ©. Sous le feu de la guerre en 1914, choquĂ© par les destructions et la violence. Par les paroles des bagnards, confinĂ©s leur vie durant au frontiĂšre de lâhumanitĂ©, quelque part en Guyane dâoĂč on ne les laissait plus revenir mĂȘme leur peine finie. DerriĂšre les murs des hĂŽpitaux psychiatriques oĂč les femmes sont enfermĂ©es sous le prĂ©texte fallacieux de lâhystĂ©rie. Sur le chemin de lâexil des juifs dâEurope de lâEst persĂ©cutĂ©s bien avant lâarrivĂ©e du nazisme. Sur le chantier funeste de la ligne de chemin de fer Congo-OcĂ©an oĂč les colons exploitaient jusquâĂ la mort des hommes, des femmes et des enfants noirs esclavagisĂ©s. Albert Londres a changĂ© sa perspective. Il sâest radicalisĂ©. Il a Ă©crit, il a dĂ©noncĂ©, il a mis tout son poids dans la balance pour que les situations cessent. Avec un certain retentissement.
Jây ai forcĂ©ment puisĂ© beaucoup. Lâutilisation de la premiĂšre personne du singulier, une capacitĂ© Ă se mettre en scĂšne et Ă se situer en tant que narrateur, une efficacitĂ© de lâĂ©criture et de la narration et puis toujours un espoir dâunir engagement et rigueur sur les faits.
Le documentaire a été réalisé par Somany Na et il est disponible sur le site de France Culture :

đ§SĂ©rie podcasts : Travailler Ă la campagneđł

Chantier de maintenance des écluses à Pouillenay (CÎte-d'Or) - Photos : Arthur Fafin
Pour la troisiĂšme saison consĂ©cutive, jâai accompagnĂ© la crĂ©ation dâune sĂ©rie de podcasts par les Ă©tudiant.es du Master Journalisme de lâuniversitĂ© Dijon-Bourgogne. On a une nouvelle fois tendu les micros aux ruraux trop souvent absents ou caricaturĂ©s dans une grande partie des mĂ©dias. Cette annĂ©e, on sâest intĂ©ressĂ©s Ă leurs boulots. A leur savoir-faire, leurs rĂȘves, leur quotidien, mais aussi et surtout Ă ce que le travail fait Ă leurs relations, Ă leurs amitiĂ©s, Ă leur famille.
Ăa parle de transmission, de cantonniers, de pause-cafĂ©, de travail en famille, de prĂ©caritĂ©, de la femme du frĂšre de lâami de la sĆur de la patiente, de gnĂŽle, de soins, de fonction publique, de vielles carcasses de bus Ă cĂŽtĂ© de la riviĂšre, dâĂ©cluses et un peu dâagriculture. On entend des coqs, une mĂ©lodie de piano, des engins de chantier, des sonnettes, un bout de France Musique et les craquements du feu.
Je vous conseille vraiment dâĂ©couter, le rendu est dâune grande qualitĂ©. Elles et ils ont fait un trĂšs beau travail : 4 Ă©pisodes dâune quinzaine de minutes chacun qui font entendre des voix peu audibles et qui jouent avec le son. Câest disponible sur toutes les applications de podcast et sur le site du master Papelar :
Un grand merci au sociologue des ruralitĂ©s Benoit Coquard dâavoir accompagnĂ© le projet comme chaque annĂ©e et Ă JĂ©rĂŽme Berthaut qui dirige le master et rend tout ça possible chaque saison avec intelligence et engagement.
Merci aussi à Making Waves qui me soutient dans cette aventure et diffuse chaque année la série.

đDockers, Ă©criture et soutien aux Ă©ditions CrĂ©aphisâ
En ce moment, jâĂ©cris, jâĂ©cris, jâĂ©cris. Je construis et avance mon manuscrit sur une petite bande dâex-dockers de Dunkerque. Un gang de septuagĂ©naires aux airs de vieux fourneaux rĂ©volutionnaires. Leur aventure ouvriĂšre a de nombreux Ă©chos avec la situation dans laquelle on se retrouve aujourdâhui. Câest une histoire qui commence sur les quais, Ă dĂ©charger les bateaux Ă dos dâhomme. Son point dâorgue, câest la lutte contre le changement climatique. Entre les deux ? Une grĂšve massive pendant deux ans, lâavĂšnement du commerce maritime conteneurisĂ©, les mouvements de chĂŽmeurs, lâanarcho-syndicalisme, lâaltermondialisme, lâĂ©conomie solidaire, la coopĂ©rative, la lutte pour les victimes de lâamiante... Pour moi, câest un rĂ©cit qui fait la jonction entre la classe ouvriĂšre du 20e siĂšcle et les mouvements sociaux et Ă©cologiques du 21e siĂšcle. Bref, une transmission essentielle en ce moment.
Comme pour mon prĂ©cĂ©dent livre, Cheville ouvriĂšre, Essai de journalisme critique en quartier populaire, câest autant un rĂ©cit de non-fiction quâun essai (au sens oĂč jâexpĂ©rimente sur ma maniĂšre de transmettre). Jây rĂ©flĂ©chis sur ma place de journaliste, sur ma maniĂšre de raconter, sur lâarticulation entre parti-pris et histoire factuelle. JâespĂšre que ce sera autant passionnant pour vous que pour moi.
Avant de vous en dire plus dans quelques temps, un petit mot pour vous confirmer que je travaille sur ce projet encore une fois avec les Ă©ditions CrĂ©aphis. Une super maison dâĂ©dition qui existe depuis 1982 et qui propose un catalogue formidable sur lâhistoire sociale et urbaine, des rĂ©flexions sur les images et le cinĂ©ma, sur le monde ouvrier et les quartiers populaires... Ils publient aussi depuis des annĂ©es de superbes livres photos.
Bonne nouvelle : ils ont ouvert une boutique en ligne qui rend trĂšs facile dâacheter leurs livres en quelques clics ! (Ils sont aussi chez les libraires bien sĂ»r)
Dans un moment comme celui-ci lâĂ©dition indĂ©pendante et critique est particuliĂšrement nĂ©cessaire. Aude, Pierre et Claire se dĂ©carcassent pour vous proposer des livres magnifiquement pensĂ©s et fabriquĂ©s. Pour les soutenir (et soutenir du mĂȘme coup mon projet de livre), nâhĂ©sitez pas Ă leur passer commande ! (En plus ce nâest vraiment pas cher)
Vous pouvez acheter par exemple, mon livre Cheville OuvriĂšre (12âŹ). Ou bien le magnifique livre de photos de Nanda Gonzague sur la rĂ©novation dâun quartier populaire de lâagglomĂ©ration dunkerquoise (jâai Ă©crit la prĂ©face) : Un quartier français (25âŹ). Mais aussi cette rĂ©flexion qui fait Ă©cho Ă bien de mes questionnements autour de la maniĂšre de faire rĂ©cit autour des survivants et des disparus de la Shoah : Les Absents de Claire LĂ©vy-Vroelant (12âŹ). Ou mĂȘme cet inclassable et admirable Lâart de tremper, manuel Ă l'usage des Français et des Ă©trangers qui trempent de P.F. Roy (10âŹ).
Chaque livre acheté est une aide précieuse !

VoilĂ pour quelques nouvelles de mes projets en cours. Jâen ai bien dâautres, sur les dockers, sur Penser le 9-3, sur Sam aussi bien sĂ»r. Je vous souhaite bon courage pour ces prochaines semaines et un Ă©tĂ© que jâespĂšre le meilleur possible. Ne baissons pas les bras, engageons-nous et bĂątissons nos brises-vagues fussent-ils de sable ou de papier.
En tout cas nâoubliez pas : votez contre lâextrĂȘme-droite !
đ§¶ Antoine Tricot